Les yeux de Rose Andersen
Xavier-Laurent Petit
On ne vit pas à Santa Arena, où tout est sec, pauvre, désolé, sans espoir. On survit, et encore. Si on veut vivre, il faut partir. Là-bas, de l'autre côté de la frontière, la grande ville des étrangers, les ranjeros, brille de tous ses feux. Là-bas, les hommes sont riches, les femmes ont la peau blanche et les yeux verts comme des dollars, et les cinémas racontent des histoires merveilleuses. Ils sont nombreux, ceux qui tentent le passage du Cerco. Et rares ceux qui réussissent. Moins de deux pour cent. Les autres sont abattus par la Border Patrol, ou bien s'en vont mourir de soif et d'épuisement dans le désert. De toute façon, avant d'espérer partir, il faut gagner mille dollars, le prix d'un passeur, l'équivalent de deux ans de travail à gratter les cuves puantes de la Chemical & Petrological Corporation. Personne n'a encore jamais dit à Adriana qu'elle avait de la chance. Mama Yosefa, la reine du bidonville, lui a juste dit un jour en la regardant dans les yeux : « Toi, tu mérites mieux. » Et Adriana a décidé qu'un jour, elle aussi aurait les yeux verts. Mais ce qui l'attend, de l'autre côté de la frontière, même un film des ranjeros n'aurait pas pu l'imaginer.